.
.
Une pratique
autour des Yoga sutra
Alain Bonasse-Gahot
Les Yoga sutra sont considérés comme un texte essentiel du yoga. Ils présentent les conditions et la stratégie à mettre en œuvre pour une pratique juste, en fonction des qualités psychologiques inhérentes de chacun, et décrivent ce que cette pratique apporte.
Cette stratégie est l’asthanga yoga, les huit membres du yoga. Parmi ceux-ci, âsana, la posture, et prânâyâma, la respiration. Très peu est dit, un seul aphorisme pour âsana, pas beaucoup plus pour prânâyâma.
Pourtant l’essentiel est là : lire un texte sur le yoga se fait à la lumière de notre pratique, et ces aphorismes ne peuvent se comprendre intellectuellement, mais résonnent en nous pour nous amener vers l’essence du yoga et de nous-même.
Voici un exemple de pratique autour du prânâyâma :
Une mise en route autour du corps et de la respiration va préparer l’assise. Cela peut-être quelques salutations au soleil, les‡ dix-huit mouvements préliminaires, qui vont permettre d’installer une assise à la fois tenue, par le redressement du dos, et confortable, par l’installation du socle.
Prendre le temps d’installer l’assise : le bas-ventre restant tonique, pubis légèrement reculé, pour avoir une courbure lombaire redressée naturellement ; le menton est lui aussi légèrement reculé pour allonger la nuque et bien placer la tête dans le prolongement de la colonne vertébrale ; la poitrine est dégagée, épaules coudes omoplates sont‡ relâchés ; le visage est détendu, le regard est adouci derrière les paupières closes.
YSII-46 : « Sthirasukham âsasa », la posture est à la fois ferme et détendue, ou, selon la traduction de Gérard Blitz, « Âsana, être fermement établi dans un espace heureux ».
Nous reviendrons à cette notion d’espace plus loin.
Amener l’attention au bord des narines, pour y ressentir le passage de l’air, frais à l’inspiration, réchauffé à l’expiration. La respiration se calme, le mental se stabilise. Puis faire circuler le regard intérieur le long des parois nasales, vers la racine du nez à l’inspiration, vers le bord des narines à l’expiration. Il est alors possible de ressentir cette alternance air frais – air chaud tout le long des parois nasales. Rajouter à l’inspiration le sens de l’odorat, comme s’il était possible de capter un parfum subtil. La respiration est devenue beaucoup plus fine et légère, elle est prânique.
Puis sur une inspiration, prolonger le regard intérieur vers la surface du front et y maintenir l’attention. Dans un premier temps avoir un ressenti tactile du front, l’esprit restant passif : cela peut être un chatouillement, ou une vibration, ou une pulsation, ou une sensation de fraicheur ou de chaleur sur telle ou telle partie du front, ou peut-être rien de tout cela ; en tout cas ne rien chercher, laisser les sensations venir, l’esprit restant passif. Ceci est très important. Après quelques respirations placer la main droite devant les yeux ; une obscurité s’installe au niveau du front ; retirer la main, une luminosité revient ; refaire une ou deux fois jusqu’à bien sentir que cette ambiance lumineuse s’installe au niveau du front avec les yeux qui restent bien détendus. Puis y rester, à partir du point source, comme si l’attention se projetait de l’intérieur du crâne vers un écran qui est le front. C’est le moment de retrouver la conscience de la respiration à l’entrée des narines et de l’apprécier. Celle-ci est devenue fine et légère, presque superficielle.
YSII-49 : « Ceci étant accompli, on expérimente le prânâyâma qui est l’arrêt des perturbations de la respiration ».
Certains commentaires disent même l’arrêt de la respiration, ce qui n’est évidemment pas le cas, mais elle devient de plus en plus ténue.
Une fois ceci installé, mettre en route un mouvement du regard intérieur à travers le buste, vers le fond du bassin à l’expiration, vers le sommet de la tête et l’ambiance des sources à l’inspiration. La respiration s’allonge, le mouvement du regard intérieur se ralentit ; cela permet de mieux vivre les temps respiratoires, inspiration, poumons pleins, expiration, poumon vides ; ces temps à plein et à vide ne sont pas des rétentions, ce sont des prolongements naturels de l’inspiration et de l’expiration. La respiration se fait silencieuse ; elle est lente, comme légèrement freinée au bord des narines, réduisant le débit respiratoire. Il est important de pratiquer cette respiration longue, lente et silencieuse, sans effort, sans contrainte.
YSII-50 : « Les mouvements de la respiration sont l’expir, l’inspir et la suspension. En portant l’attention sur l’endroit où se pose la respiration, sur son amplitude et son rythme, on obtient un souffle allongé et subtil ».
Continuer à pratiquer, progressivement la conscience de l’acte respiratoire diminue, l’esprit se tourne deplus en plus vers ce mouvement du regard intérieur, qui se place dans tout l’espace du buste. Il est possible alors de distinguer souffle, long et subtil, porté par le regard intérieur, mouvement d’énergie, de respiration en tant qu’acte physiologique.
YSII-51 : « Une quatrième modalité de la respiration dépasse le plan de conscience ou l’on distingue inspir et expir ».
Puis cesser le mouvement du regard intérieur et rester dans cet espace, entre bassin et sommet de la tête-ambiance des sources. Rester plusieurs minutes, en appréciant l’ambiance.
YSII-52 : « Alors, ce qui cache la lumière se dissipe ».
YSII-53 : « Et l’esprit devient capable des différentes formes de concentration ».
C’est la manière de respirer, qui est devenue art de respirer, qui permet d’aller vers pratyâhâra, la maîtrise et le retournement des sens vers l’intérieur et d’aller vers les trois derniers membres, dhârana, l’exercice de la concentration, dyâna la méditation et samâdhi l’état d’unité.
Cette pratique de prânâyama peut s’installer dans toute les postures. Bien sûr, en fonction de l’intensité physique de la posture l’allongement, l’amplitude de la respiration va se moduler. C’est chercher à tendre vers ce souffle long et subtil qui est intéressant, plus que de vouloir absolument aboutir à un résultat précis. Ne dit-on pas que dans un voyage c’est le chemin qui compte ?
Bibliographie :
Yoga-Sutras De Patanjali, traduction du sanskrit et commentaires par Françoise Mazet. Edition Albin Michel.